Histoire et pédagogie

Il y a très longtemps de cela, tout le monde vivait heureux au royaume des Carillons. Là-bas, les cloches volaient dans le ciel en carillonnant :

— DING ! DING ! DING ! Il fait jour, levez-vous !

— DONG ! DONG ! DONG ! La nuit arrive, dormez bien !

Chacun vivait joyeusement au rythme des cloches, c’était magique !

Seul le roi des Carillons était, chaque jour, de plus en plus triste.

— Sire, qu’avez-vous ? demande, la reine, inquiète.

— Nous avons dix filles, mais pas un seul garçon répond le roi en soupirant.

— Hélas ! murmure la reine. Nous avons vu tous les médecins du royaume, interrogé les plus grands savants ! En vain. Mais on dit qu’on fond de la forêt, vit une vieille femme qui pourrait nous aider, une grande magicienne.

— Hum, fait le roi, songeur. Pourquoi pas. J’irai la voir demain.

Au petit matin, le roi s’enfonce dans la forêt.

Après deux jours de marches, il découvre une petite cabane en bois. Aussitôt la porte s’ouvre. Une vieille femme, ridée et bossue, apparaît.

— Mon bon roi ! dit-elle. Quel honneur de te recevoir. Que puis-je pour toi ?

— On dit que tu es une grande magicienne. Aurais-tu une potion magique pour que j’aie enfin un fils ?

— Sire, je ne peux rien changer à la nature. Mais je vais te donner mon bien le plus précieux, ma poule Roussette. Chaque matin, elle pond deux gros œufs. Dès que tu entendras les cloches du matin, vous devrez, la reine et toi, gober un œuf tout chaud jusqu’à ce que ton fils naisse.

— Gober un œuf ! Quelle drôle d’idée, s’étonne le roi. Mais je suis prêt à tout pour avoir un garçon alors, pourquoi pas ?

Le roi prend la poule sous le bras et ajoute :

— Si dans neuf mois j’ai un fils, je te couvrirai de cadeaux. Que souhaiterais-tu ?

— Rien, dit la vieille en souriant. Promets-moi seulement une chose. Fais savoir à tout le royaume que c’est grâce aux œufs de Roussette que ce garçon est né. Et fais en sorte que chacun s’en souvienne jusqu’à la fin des temps !

De retour au château, le roi installe Roussette dans le poulailler royal.

Chaque matin, dès que les cloches carillonnent, la poule pond se deux œufs, que le roi et la reine gobent tout chauds.

Enfin, un beau jour, la reine attend un bébé !

Le jour du printemps, le roi, comme chaque matin, va chercher ses œufs.

— Tiens ! dit-il. Il n’y a qu’un œuf aujourd’hui. Mais quel œuf ! Il est doré comme le soleil, et brille de mille paillettes ! Je n’ai jamais rien vu d’aussi beau. Qu’est-ce que ça veut dire ?

Au même instant, le valet du roi arrive en criant :

— Sire, venez vite ! Le bébé est né !

Le roi entre au château en courant, l’œuf doré sous le bras.

— C’est un garçon ! s’écrie la reine. Un garçon !

Fou de joie, le rend prend un bébé dans l’autre bras et le couvre de baisers.

Soudain, le roi s’arrête et dit d’un ton solennel :

— Je viens d’avoir un fils grâce aux œufs de Roussette. L’œuf que Roussette a pondu aujourd’hui était un signe. Regardez !

— Oh ! s’écrie la reine, il est magnifique !

— Comme je l’ai promis, le royaume doit pouvoir se souvenir de ce grand jour. Faites venir ici le peintre royal et le chef cuisinier.

Le roi dit au peintre royal :

— Je veux que tous les habitants du royaume possèdent un œuf comme celui-ci. Vous ajouterez un ruban rouge sous lequel vous inscrirez : « Le fils du roi est né ! Vive les œufs de Roussette ! »

Le roi s’adresse ensuite au chef cuisinier :

— Je veux que tous les enfants du royaume se souviennent aussi de ce grand jour. Faites des œufs en chocolat aussi gros que celui-ci et mettez le même ruban rouge.

À minuit, le roi a devant lui des centaines d’œufs, enrubannés de rouge.

Il appelle les cloches du royaume et leur dit :

— Vous qui volez dans tout le pays, j’ai besoin de vous ! Portez ces œufs dans tout le royaume. Je veux que demain chacun trouve un œuf porteur de la grande nouvelle.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les cloches emportent les œufs et les laissent tomber dans les cours et les jardins.

Au petit matin, les cloches carillonnent de toutes leurs forces :

— DING ! DING ! DING ! Levez-vous !

— DING ! DING ! DING ! Venez voir !

Surpris, les habitants du royaume se précipitent dehors.

Stupéfaction ! Le sol est recouvert de centaines d’œufs magnifiquement décorés ! Petits et grands se bousculent pour les ramasser en criant :

— Vive le fils du roi ! Vive les œufs ! Vive Roussette !

Et c’est ainsi, qu’à chaque printemps, le roi tint sa promesse en mémoire de la poule Roussette qui vécut aussi longtemps qu’une poule peut vivre !

Cette coutume se transmit de roi en roi, puis de République en République.

Et aujourd’hui encore, les cloches venues du royaume des Carillons déposent toujours des œufs en chocolat dans les jardins pour le plus grand plaisir des petits et des grands.

Laurence Schmitter & Amandine Piu, L’histoire des cloches qui distribuaient des œufs, Les Mureaux, 2008